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La femme qui ne connaissait pas le Boson

C'était l'une de ces rencontres sur internet.

J'avais, un peu par hasard, fait la connaissance d'une femme avec qui je m'étais lié d'amitié.
Nous avions tout d'abord échangé des propos sans importances et au fil des soirées nos conversations étaient devenues de plus en plus intéressantes.
Nous abordions pour notre satisfaction mutuelle des sujets divers et variés.
La musique bien entendu, où des liens consacrés aux œuvres de nos grands maîtres, Louis de Narvaez, Monsieur de Sainte Colombe, Purcell, Händel, Bach, Debussy, Chostakovitch, nous éclairaient de leurs majestueuses compositions.
Il y avait également la comparaison de nos lectures, nos appréciations et commentaires sur les grands écrivains disparus et ceux plus modernes. La philosophie comblait également nos curiosités réciproques nous aidant par les analyses des grands penseurs dont les textes illustraient avec intelligence, l’explication de notre existence et nous permettaient de mieux cerner le monde et les fondements de nos vies.

Puis il y eut cette terrible soirée. Cet instant maudit.

Je me sentais d'humeur scientifique, alors, j'entrepris de lui parler des grandes découvertes de notre ère, de lui envoyer mon questionnement sur certain détails de la théorie des Quantas.
Puis, je ne sais plus pour quelle raison, je lui demandais son avis sur une question qui me semblait de la plus haute importance :
-Ne penses-tu pas que la brillante démonstration de l'existence du Boson de Higgs nous ouvre des chemins de la physique des particules qui étaient jusqu'à présent à peine imaginable ?

J'attendis avec impatience sa réponse, m'imaginant avec délectation l'intérêt qu'une telle question pourrait susciter.
 Mais rien ne s'inscrivit sur mon écran.
Puis, il y eut un point d'interrogation qui apparut, bientôt suivit de ces quelques mots "c'est quoi ça un Boson?".

Imaginez ma terrifiante surprise, mélangé à un effroi bien compréhensible. Je dû faire une chute de tension car ma tête se mit à tourner. Je fermai les yeux un instant, imaginant, comprenant l'adversité à laquelle je venais d'être confronté. Mon doigt heurta violemment l'interrupteur général de mon ordinateur...

Une semaine plus tard, un jour de repos, me permit d'aller faire une promenade sur les hauteurs du Jura, accompagné de ma fille de douze ans, jolie petite poupée aux cheveux couleur blé, aux yeux d'un bleu enchanteur et à la démarche féline.
 Elle se sentait d'humeur loquace, alors elle me raconta les problèmes qu'elle avait à suivre sa classe de sixième qu'elle venait d'intégrer. Le  changement de rythme, les nouvelles matières, des professeurs différents la déstabilisaient au plus haut point.
En père attentif et aimant, je la réconfortai de propos soigneusement choisis, la rassurant sur ses sentiments tout à fait légitimes et lui affirmant que tout irait bien.

La promenade se termina et nous fûmes côte à côte, assis sur un promontoire, admirant la chaîne des Alpes qui, au loin, émergeait d'une mer houleuse de brume.
Soudain elle se tourna vers moi.
Etais-ce mon silence qui la fit réagir, je ne le sais pas.
Mais, de sa petite voix elle me demanda :
-Papa, tu m'as l'air soucieux! Tu sais, tu peux te confier à-moi si tu as un problème, je suis petite, mais, je peux également t'aider...

Je lui envoyais un regard de tendresse, et, après quelques hésitations, je me mis à déballer ma rencontre dans le monde du virtuel, cette femme, avec qui j'avais échangé des propos intéressants, touchant une diversité de sujets musicaux littéraires, philosophiques.
Elle me coupa la parole
-    Avez-vous parlé de Nietzsche et de l’inorganique, conçu comme une forme plus rudimentaire de La volonté de puissance?  Me demanda t ‘elle avec une certaine anxiété.

Je lui souris. Nullement de ce sourire condescendant que l'on peut porter sur la jeunesse, mais, un sourire provoqué par les souvenirs de ma tendre enfance, où, avec mes copains, tout en nous amusant de magnifiques parties de croquet, nous alléguions sur ce genre de sujet, argumentant notre curiosité évidente d'êtres qui ont tout à découvrir.

Je posai ma main sur sa tête, remettant en place une mèche rebelle.
-Oui ma petite, bien sûr mon enfant...
Elle sembla rassurée, laissant rêveusement trainer un doigt curieux dans l'herbe grasse sur laquelle nous étions assis.

Puis, peut-être trop brutalement, je lui dévoilai l'impensable, l'inconcevable, l'inimaginable.
-Elle ne sait pas ce qu'est un Boson!

Alors, elle me regarda ébahie, paraissant justement horrifiée par ce terrible propos.
Après une courte minute d'un mutisme évocateur, elle tenta cette charmante requête:
-    Peut-être. Elle habite dans un village perdu dans les tréfonds de l'Amazonie ou, dans l'une de ces tribus cannibales du Congo.
D'un signe négatif de la tête, je la dépouillai de tout espoir.
-Elle est Française...

 Alors, un filet de larme glissa sur le rosé de ses joues, ses lèvres affichèrent une moue de tristesse et les genoux pliés, la tête lovée ente ses deux bras, elle se mit à pleurer.
Je partageai sa peine durant de longs instants qui nous transportèrent jusqu'à la nuit tombée.
Le retour en voiture se fit dans le plus grand silence.
Nous communions ainsi, ensemble, devant cette adversité manifeste.
Notre beau pays était à l'évidence incapable de proposer une juste et équitable éducation à tous ses ouailles.
Au moment de rentrer au bercail, elle eut cette évidente requête.
-Papa, tu dois faire quelque chose!

Cette nuit-là, il me fut très difficile de dormir, mon cerveau endolorit par cette infortune, recherchait avec pugnacité l'indispensable solution. Et, elle vint, subitement, lumière infinie et indubitable de la dignité de mes songes.

Le lendemain, frais comme un gardon et heureux de mon intention, je me rendis au secrétariat de la maison des jeunes de mon village et avec une voix certaine du bonheur qu'elle allait engendrer, je m'adressai ainsi au directeur du lieu :
-Je suis d'accord de donner bénévolement des cours de vulgarisation sur la physique quantique et sur cette fameuse démonstration du Boson de Higgs!
L'homme me regarda d'un air étonné et eut cette réponse assourdissante :
-Pour ce type de cours adressez-vous au P'tits loups l'école maternelle des vertes campagnes!


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