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Le pongiste
Amateur de tennis de table depuis de nombreuses années. J'exerce mon sport favori dans une petite équipe départementale qui brille par son inefficacité dans la compétition, mais qui se délecte de ses défaites par des beuveries mémorables égrainées tout au long de la saison.
J'ai toujours estimé que mon classement n'était pas en rapport avec mon aptitude et pour cela, je détestais cordialement les individus en charge de me l'attribuer , pensant qu'il y avait parti pris à mon encontre.
Ce joli samedi d'hiver nous devions affronter une équipe que nous connaissions fort bien l'ayant rencontrée dans le passé à plus de quatre reprises. J'aimais particulièrement jouer contre ce groupe car chaque années je pulvérisais tous les adversaires qui le composaient, à part, il faut que je le précise, une personne qui me donnait beaucoup de fils à retordre.

Pour les matchs du jour, qui, je pensais, étaient décisifs. Je m'étais procuré un ensemble complet de bois, de mousses hyper-adhérentes, bandeau anti-sueur. Seul mon bras restait le même!
Dans le but de remporter mes trois duels, je demandais à mon capitaine de me laissé jouer dans le groupe B, prétextant un mal de dos désagréable. En fait la vérité était que mon tombeur habituel s'exécutait toujours dans le groupe A.
Ma première partie fût sans problème. Arbitrer par l'un de mes équipiers, Fernando, un jeune gaillard qui venait tout juste de rentrer d'un long séjour de vacances dans son Espagne natale. J'écrasais donc mon adversaire 17-15, 2-11, 21-20,4-11,29-27. et clamais ma joie avec un...
-Arriba, Viva la muerte!
Je pensais qu'utiliser ce langage Ibérique adoucirait le choc culturel que venait de subir mon copain.
Puis ce fut le tour de notre coéquipier d'entamer sa partie. Jan, jeune garçon très émotif, me demanda la technique qu'il fallait employer pour vaincre son opposant.
-T'as qu'à jouer sur son revers! Lui conseillais-je.
Puis avec Fernando, nous nous éclipsâmes en direction de la buvette qui dispensait, nous le savions, nos bières préférées. De cet endroit paradisiaque nous entendions les clameurs de l'équipe adverse qui encourageaient leur partenaire. Je me retournai vers mon ami et lui dis en rigolant.
-Jan est encore en train de se prendre une bonne raclée.
En effet quelques dix minutes plus tard, notre copain se ramenait, l'air abattu et dépité.
-Vous auriez pu rester pour m'encourager! Dit-il.
-Ca n'aurait rien changé, t'es vraiment trop mauvais! Répliquions-nous en cœur avec notre franc parlé traditionnel.
Ce fut le tour de Fernando, d'entamer sa partie. Cette fois ci j'étais l'arbitre et bien décidé à tout faire pour avantager mon pote.
Je passerai sur toutes les techniques qui permirent la victoire sur notre opposant. Erreur dans le marquage des points, remarque désobligeante sur l'adversaire, visualisation de fausses "carottes" (coin de table) etc., etc...
La journée se terminait dans l'insouciance et la bonne humeur habituelle. Ceci juste avant ma dernière confrontation, où, surprise infâme, j'appris que la personne contre qui je ne voulais absolument pas jouer était, elle aussi, descendue du groupe A au groupe B.
-Josiane, quelle bonne surprise! Dis-je d'un air crispé.
Oui, oh, honte sur moi. C'était une femme qui me ridiculisait chaque saison devant tous mes camarades. La donzelle avançait lentement en direction de la table s'aidant d'une canne, la jambe entourée d'un énorme bandage.
-Tu es blessée?
-Oui, une mauvaise entorse!
-Ma pauvre!
En fait, j'exultais à l'idée d'enfin pouvoir battre mon adversaire physiquement diminué.
Josiane devait peser ses bons cent vingt kilogrammes, et sa main aux doigts boudinés tenait sa raquette d'une façon peu orthodoxe.
Je me rendis rapidement compte que son jeu n'avait aucunement souffert de son impotence. Au contraire, plantée devant la table, elle me baladait d'un poignet alerte de droite à gauche. Moi en sueur et malgré tous mes efforts je reçus l'affligeant résultat du premier set 11-05. Presque en pleurs et sous les quolibets de mon équipe, je me sauvais en direction des vestiaires, question de retrouver quelques instants ma composition.
Elle, souriait, les joues à peine rougies par l'effort.
Il fallait que je prenne un remontant. Dans mon sac se tenait une bouteille avec une mixture de ma préparation. Six Guronsans, cinq vitamines C, étaient mélangés avec un bon litre de café bien tassé. Je me précipitais vers mon sac. Mais, horrible surprise. Mon élixir avait disparu. C'est à ce moment que j'entendis quelques bruits incongrus dans la pièce d'à côté. La curiosité m'obligea à m'enquérir sur l'origine du problème. Dans ce petit local, une mère essayait de calmer son jeune rejeton qui, dressé sur ses bras, se tapait allègrement la tête sur le sol tout en vocalisant des onomatopées des plus bizarres. Je compris vite l'affaire en voyant abandonnée dans un coin de la salle, ma bouteille à moitié vide. Muni d'un rictus narquois, je m'emparai de mon bien et le vidai de son contenu en quelques instants.
C'est donc dans une forme superbe que je retrouvais la table où ma charmante opposante m'attendait le sourire aux lèvres. Mais cette fois ci, l'énergie qui sublimait mon être, me permis de déjouer tous les effets que la pauvresse essayait de donner à la balle et j'obtins un bienheureux 9-11, puis 11-09 et enfin 8-11 qui m'emmenèrent allègrement vers une belle que je voyais déjà mienne.
Radieux, tout en lançant un regard de mépris envers "la gonzesse", je m'en allais m'acquitter d'un besoin naturel.
Quelques minutes plus tard, me rafraîchissant au lavabo,  un fier à bras que je ne connaissais nullement se posta à mes côtés. Cette sorte de Musclor atteignant un bon mètre quatre-vingt-quinze s'adressa à moi en ces termes.
-P'tit gars, c'est pas très gentil c'que t'as fait à ma copine. Tu sais! Faudrait pas qu'tu l'as rende trop triste où alors tes mandibules risquent de te faire très mal ce soir!
Puis il disparut me laissant quelque peu perplexe dans la compréhension de ces propos.
J'arrivais un tantinet chancelant pour parachever la dernière manche.
Les yeux rougis de tristesse ma rivale envoya un baiser en direction du culturiste, qui, me regardant intensément et serra ses deux poings vigoureux.
Une anxiété abominable noua soudainement mes viscères. Mais mon désir de gagner ne fut nullement détrôné par mon instinct inné de conservation. Je m'appliquais donc de mon mieux dans ce match extrêmement serré. Arrivé à onze partout, l'horrible bonne femme jouant avec une chance invraisemblable m'infligea un filet irrattrapable.  Armé de la volonté phénoménale qui me caractérise je parvenais à renverser la situation et me retrouvais menant 12-11. Un grognement abject attira fortuitement mon attention. L'imposant Atlante de la mie contre qui je me battais, tenait dès à présent un large couteau dans sa paluche et accomplissait avec son aide un mouvement évocateur devant sa gorge, ceci en me dévisageant hargneusement.
C'en était trop, mon courage et mon ambition que je croyais sans limite filèrent sans demander leur reste. Oubliant complètement l'enjeu de la rencontre je laissais s'échapper la victoire tant convoitée.
Josiane me serra la main.
-Bien joué, pas de chance! Brocarda-t-elle.
Les yeux perdus dans le vague, je réalisais que la pulsion de survie était encore fortement ancrée en moi…
Depuis, j'ai arrêté cette activité que je trouve de nos jours particulièrement périlleuse par les conséquences qu'un mauvais choix pourrait entraîner.