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  Mourir pour la peine

01/01/2018



Que dire de cette belle journée d'été ?
Pour Ernest !
En fait, pas grand-chose. Cette période du mois d'août était synonyme d'ennui. La population du pays de Gex étant allée grossir la masse des vacanciers, il semblait que la délinquance lui avait emboîté le pas et avait également prit du repos. Pas la moindre petite enquête à se mettre sous la dent. Sa seule occupation qu’il avait, c’était de mettre un peu d'ordre dans ses dossiers et de rêvasser à toutes ces sordides affaires qu'il avait si facilement résolues. Souvent, il s'était demandé si la pertinence de ses conclusions n'était pas auréolée d'une certaine incertitude. Mais, tous ses coupables ayant avoué leur crime, acculés par des charges indiscutables, le doute n'avait pas vraiment effleuré son esprit très cartésien.
 Pour l'instant il longeait la rue de Genève en direction du bureau de tabac où il voulait s'acheter ses revues préférées qui lui permettraient de combler la morosité de la journée à venir.
« Bonjour Ernest ! »
Le buraliste toisait notre ami d'un regard sévère. Installé depuis peu dans la région, il avait vite fait de connaître tous ses clients qu'il désignait déjà nominativement. Homme à l'apparence sèche et sévère, il régnait en maître sur son petit commerce qu'il tenait aménagé d’une façon irréprochable.  
« J'ai justement reçu un recueil de nouvelles policières qui, j'en suis certain, t'intéressera ! Joignant le geste à la parole il lui tendit un petit livre de poche dont le titre évocateur confondit son attention, "Mourir pour la peine", le bouquin était signé par les seules initiales de son auteur, M.V… 
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Le bureau du commissariat était désert. La chaleur matinale lui annonçait encore l’une de ces journées mornes et sans intérêt.
Il commença à dépouiller son maigre courrier.
Des circulaires administratives, des publicités et une carte postale de son collègue Purbon qui le narguait, lui montrant une plage de rêve entourée de palmiers et cocotiers.
Comment allait-il meubler cette journée qui s’annonçait sans intérêt ?
Regardant autour de lui, il se souvint de ce fameux petit livre qu'il avait acheté le jour précédent. 
« Voilà comment ma matinée sera occupée ! Pensa t'il en ouvrant l'ouvrage...
Une heure plus tard, les yeux dans le vague, Puppa était envahi d'une effrayante inquiétude.
Une incertitude angoissante qui le fit frissonner.
Combien d’erreurs avait-il jusqu’à présent commises ?
Combien de vies avaient-elles été brisées par sa faute, par ses conclusions trop hâtives ?
Le soir venu. Son sommeil ne fut qu’un seul cauchemar. La terrifiante histoire contée dans ce petit bouquin ne le quitta pas de la nuit…
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John et Gilbert adoraient se balader dans la campagne avoisinant la petite ville d'Amarillo dans l'état du Texas. Ces deux gamins de 13 ans s'entendaient parfaitement bien. Leur promenade se terminait invariablement sous ce mur de pierre à moitié effondré où un banc en chêne vermoulu terminait ses vieux jours. Assis l'un à côté de l'autre, ils discutaient de la prochaine exécution par électrocution qui allait bientôt se produire dans la prison de haute sécurité qui se trouvait à dix kilomètres de leur résidence.
« John, t'en penses quoi de la peine de mort ?
Après quelques secondes de réflexion, la réponse arriva.
-Mon père, il dit, qu'c'est bien fait pour leurs gueules, qu'un assassin, ça mérite la mort !
Un court silence puis.
-Moi, mes parents, ils disent la même chose que ton père. Ils pensent même qu'ils vaudraient, en plus, les faire agoniser. Qu'ils comprendraient ainsi la souffrance qu'ils ont fait endurer à la famille des victimes !
-De toute façon, ces racailles ne méritent pas de vivre ! » Enchaîna le second.
Ils parlèrent des histoires de meurtre vues à la télé, de ces assassins qui sans remord enlevaient la vie à d'autres humains. Cette conversation, bien insolite dans la bouche de deux enfants, se termina aussi rapidement qu'elle avait commencé.
Gilbert remarqua sur le sol, une grosse pierre qui semblait être tombée de la maison en ruine, qui se trouvait derrière eux.
Il la ramassa, et, regarda le mur avec attention, recherchant l'emplacement exact d'où ce plot soigneusement taillé pouvait provenir.
C'est au-dessus de sa tête que se trouvait la solution. Au plus haut de ce qui restait de la cloison se trouvait une découpe qui ressemblait parfaitement à la forme qu'il tenait dans ses mains.
« Je vais la remettre à sa place. Aide-moi à la replacer là-haut ! » Ajouta-t-il en montrant du doigt un point qui se trouvait à deux mètres de hauteur juste au-dessus du banc.
Il grimpa sur les épaules de son ami, et, avec de grandes difficultés, déposa son fardeau à l'endroit prévu. Le caillou chancela plusieurs fois, et miraculeusement resta sur son perchoir dans un équilibre que l'on pourrait qualifier de très instable.
Content de leur exploit, nos deux compères prirent le chemin du bercail.
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Vingt ans plus tard
Des hurlements émanaient de la chambre d'exécution. Assis, poings et pieds liés sur la chaise électrique, Gilbert s'égosillait en clamant son innocence. Ces huit ans qu'il avait passé dans le couloir de la mort arrivaient à un terme. Dans quelques instants il serait occis, supprimé du monde des vivants. 
Dehors, la famille de sa femme chantait de joie. Enfin, le tueur qui avait froidement et sauvagement éliminé sa compagne, allait retrouver le diable.
Parmi la foule ainsi assemblée, se tenait John, silencieux, les yeux dans le vague. La voix de son père se joignait aux vociférations de l'assemblée.
Lui, il ne disait rien, pourtant il connaissait la vérité.
Son papa, se pencha vers lui.
« Ton ami d'enfance ! Celui qui a tué ta sœur ! On va être vengé ! »
Aucune expression ne se dessina sur son visage.
John, à la suite d’
un grave accident de voiture, était devenu une sorte de légume. Ne pouvant plus communiquer avec l'extérieur, il se laissait traîner dans une chaise roulante.
Pourtant, son esprit criait lui aussi.
Mais ses protestations silencieuses allaient à l'encontre de l'opinion environnante :
« Ne le tuez pas, ce n'est pas lui ! »
Mais qui pouvait l'entendre, le comprendre ?
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On administra une forte dose de calmant au condamné. Ses muscles se détendirent, il cessa ses vociférations. Sa rage s'était, sous l'emprise de la drogue, transformée en une abnégation de toutes choses. Ces yeux se posèrent sur les témoins qui se trouvaient de l'autre côté de la vitre. Son avocat, seule présence familière avait les larmes aux yeux. Il était persuadé de l'innocence de son client et ami. Il essaya un pâle sourire d'encouragement, un peu comme un au revoir à cette personne qu'il avait suivie pendant ces neuf longues années.
Le bourreau jeta un rapide coup d'œil à l'horloge qui accrochée devant lui décomptait les minutes.
Le coup de fil salvateur n'arriva pas.
Un hochement de la tête et la machine de mort commença sa triste besogne.
Les muscles de l'infortuné se crispèrent, le courant électrique contracta ses muscles, la douleur était atroce. De la bave suinta de sa bouche.
« Vite je veux mourir ! » Supplia-t-il.
Puis il ne sentit plus rien, le trépas l'envahit peu à peu...
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« Eliane Maloff, voulez-vous prendre pour époux monsieur Gilbert Sanpeur ici présent ?
-Oui ! S'exclama-t-elle. Je le veux ! »
Les deux amoureux s'embrassèrent tendrement.  Dans l'église, tout le monde se mit à applaudir. John ravit de voir son meilleur ami prendre sa sœur jumelle comme épouse, riait à cœur joie. 
ET le début de cette triste histoire commença !
Tous deux avaient vingt-trois ans.
Gilbert avait côtoyé sa douce moitié depuis sa plus tendre enfance, sœur de son meilleur ami ; Il avait su apprécier sa présence, admirer sa sagacité, affectionner sa douceur. Puis cette amitié, doucement, s'était transformer en amour, en passion. John était particulièrement heureux de ce dénouement. Son ami Gilbert deviendrait ainsi membre de sa famille.
 Les premières années de leur vie de couple se passèrent admirablement bien. Sans le moindre nuage, la moindre inquiétude. Seule ombre à leur union, l'absence d'un enfant souhaité dont les médecins avaient confirmé l'improbabilité. 
Pourtant, un jour, Gilbert fauta. Une amourette de passage, sans importance, une seule nuit qui sembla tout briser. Comment Eliane en fut avisée, personne ne le sut jamais. Mais ceci brisa la magie du ménage.
Une histoire si bien commencée, détruite en un instant, sans aucun espoir de réconciliation. Tout fut étalé au grand jour un soir de « thanksgiving » :
« Ce salop, m'a trompée ! » S'exclama Eliane au beau milieu du repas de famille.
Un silence de mort, noya la conversation animée qui égaillait la salle à manger.
John regarda son ami d'un air réprobateur...
Les mois qui suivirent ne furent que disputes, pleurs.
La trahie, se réfugiait souvent dans la maison de son enfance. Son père, veuf depuis la naissance de ses deux enfants, écoutait, attristé les complaintes de sa fille. La terrible conclusion du divorce semblait rester la seule solution au problème. 
Pourtant, John voulait essayer de raccommoder les choses. De réconcilier les deux personnes qu’il aimait le plus au monde.
« Eliane, tu dois essayer de te retrouver avec ton mari. Faites une escapade en amoureux ! » 
Finalement, nos deux anciens amoureux décidèrent de tenter leur dernière chance. Habitant maintenant à une centaine de kilomètres d'Amarillo. Ils décidèrent de se retrouver dans cet endroit de leur enfance. Était-ce le fait de revenir sur les lieux où la naissance de leurs sentiments amoureux étaient nés, le couple sembla retrouver cette flamme de passion si malencontreusement éteinte. 
Main dans la main ils marchèrent dans cette campagne qui avait abrité leurs premiers émois.
La petite maison au mur partiellement effondré semblait les attendre comme immuablement posée à l'abandon dans ce coin secret et si tranquille. Le banc en chêne vermoulu leur offrit des instants de ce bonheur enfin retrouvé. Tendrement enlacés, ils échangèrent un baiser passionné, vibrèrent sous le charme lointain de leur jeunesse.
Pourtant un terrible ennemi se trouvait à leur côté...
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Puppa se réveilla soudain haletant, couvert de sueur. 
« Non ! » Venait-il de s'écrier…
Assis devant sa petite table de cuisine, il sirota un verre de lait. 
« Paraît-il que ça redonne le sommeil ! » Espéra t'il.  
Il réintégra la douceur de son lit, puis, il lui fallut une bonne heure pour retrouver l'apaisement espéré.
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Au-dessus de nos amoureux, une grosse pierre vacilla inexorablement. Ce parpaing, déposé là il y a de cela si longtemps, était prêt à dégringoler vers le sol. Il glissa sans bruit, parcouru sa courte chute et frappa la tempe d'Eliane.
Elle décéda sur le coup, sans même un seul mot, une seule plainte. John ne comprit pas tout de suite la gravité terminale de la situation. Mais affolé, il se précipita sur sa compagne, l'a pris par les épaules.
« Ma chérie, revient à toi ! » 
Comme unique réponse, un filet de sang s'écoula sournoisement de la commissure de ses lèvres. 
Il la serra très fort dans ses bras ...
Combien de temps était-il resté ainsi, agenouillé devant la dépouille de son amour. Il ne le savait pas. Puis, soudain, son regard se posa sur la pierre meurtrière. Fou de rage et de douleur, il la ramassa et l'envoya de toutes ses forces rejoindre les fourrés. Puis, il se précipita en direction de sa voiture, il devait trouver de l'aide, il fallait la sauver ! 
Dans sa course, il trébucha plusieurs fois, perdit l'une de ses chaussures, mais, que cela ne tienne, il allait trouver de l'aide, il en était certain. Essoufflé, au bord de l'évanouissement, il se tenait maintenant dans son véhicule. 
« Mes clefs ! Hurla-t-il, où sont mes clefs ! »
Il éclata en sanglots...
Son téléphone portable à la main, il appela la seule personne qui pourrait aider.
« Gilbert ! C'est moi John ! Bredouilla t'il. Eliane, Eliane, elle est morte ! Un accident... »
Gilbert ne comprit pas l’ensemble des propos que son ami formula dans un illogisme affolé. Mais, il discerna précisément la gravité et l'ambiguïté de la situation.
Un seul mot sortit de sa bouche.
« J'arrive ! »
Pied au plancher, il entreprit de rejoindre le lieu du drame. L’endroit était situé à une bonne heure de route de son domicile. Pourtant, il n'arriva jamais à destination. Un virage en épingle, une vitesse trop excessive, toutes ces images de son enfance qui se bousculaient dans sa mémoire. Puis le trou noir, béant. Des voix qui s'agitent autour de lui. La sonorité répétitive d'un moniteur cardiaque et le réveil dans sa lugubre vie végétative. 
L'enquête sur la mort d'Eliane ne posa aucun problème aux inspecteurs de la criminelle. Tout accusait John, Le sang de sa victime qui souillait sa chemise, les empreintes sur le caillou retrouvé à trente mètres du lieu du crime. Sa chaussure perdue dans sa fuite insensée.
De plus, des promeneurs qui l'avaient formellement reconnu le montrèrent du doigt.

Il y eut rapidement ce verdict terrible, sans appel. La condamnation à mort… 
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Durant de nombreuses semaines qui suivirent la lecture de cette horrible histoire, Puppa vécut avec un profond malaise.
Toutes ses enquêtes qu'il pensait avoir si brillamment résolues, ne cachaient-elles pas un quiproquo abominable.
Une tragique erreur judiciaire ?
Il songea même à abdiquer devant son admirable carrière dans la police scientifique.
Heureusement, chers lecteurs, ne vous inquiétez pas !
Il n’en sera rien !
Puppa vous réserve encore de nombreuses enquêtes qui, j'en suis certain, tourmenteront pour longtemps vos neurones.




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