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  Nuit d'hiver

30/03/2020



Cinq grands gaillards venaient de pénétrer dans le magasin Intersport de St- Genis Pouilly. Le directeur du magasin se para de son plus beau sourire et alla lui-même accueillir ces clients.
Il est vrai qu'il les connaissait bien ces personnages. Pendant un banquet de la nouvelle année, il s'était retrouvé assis à côté d'eux. Ils avaient sympathisé, et ils lui avaient promis de bientôt venir faire des emplettes dans son commerce.
« Salut Dominique ! Comment vas-tu, on vient vider ton magasin !
-Ne vous gênez pas pour moi ! » Répliqua-t-il plutôt enchanté par cette bonne idée.
Après les avoir salués et échangés quelques mots. D'un geste vif mais discret, il invita l'une de ses employées à s'empresser auprès de ses amis.
Il retourna ensuite tranquillement à son office l'air heureux. Il est vrai que ces individus étaient tous très fortunés et ne comptaient pas vraiment à la dépense.
Assis à son bureau, il se mit à les observer et se remémora leurs rencontres durant cette soirée très distrayante. 
Ses compères travaillaient en tant qu'ingénieur dans la même usine d'horlogerie de Genève et habitaient tous une villa dans la petite ville de Prévessin.
Il y avait tout d'abord Jean Paul, d'une logique implacable qui ne laissait aucune place à la fantaisie. Certainement le plus intelligent des cinq. Grand, un mètre quatre-vingt-dix, il était affublé d'une immense écharpe noire qui enserrait son cou. Il ne s'en sépara d'ailleurs à aucun moment, prétextant craindre terriblement le froid et que ses bronches fragiles le faisaient terriblement souffrir.
Dominique avait été impressionné par son érudition. Voyage, science, médecine et j'en passe, rien ne semblait avoir de secret pour lui, il aimait voir, apprendre et comprendre tout ce que l'existence pouvait lui offrir. Il lui avait posé plusieurs énigmes sur des sujets des plus divers. Mais les réponses avaient fusé sans la moindre hésitation, prouvant la culture et le savoir de l'individu.
Puis il avait rencontré Yves, personnage rondouillard, toujours prêt à la rigolade. Écologiste convaincu, il lui avait expliqué des tas de choses sur la nature et les plantes. Lui avait fait comprendre que le bonheur du jardinage perdurait même durant la période hivernale. Drôle de personnage en vérité qui adorait faire des promenades nocturnes pour humer la campagne environnante.
Jacques, le troisième larron, adorait le spiritisme.
« Je recherche les âmes perdues ! » Lui avait-il dit.
En fait, il voulait par tous les moyens retrouver l'amour de sa vie qui s'était éteint deux ans auparavant. L'appel de cet être cher, il le faisait au grand air et la nuit. Souvent seul devant sa boule de cristal ou d'autres fois en compagnie d'un de ses amis.
Hector, lui, passait la vie dans les étoiles. Sa seule passion semblait se tenir là-haut dans le ciel loin de notre planète. Il s'était procuré un magnifique télescope, qui lui servait, les jours de beau temps à admirer la voûte céleste. Rien de ce qui concernait le ciel ne pouvait lui échapper.
Le dernier larron avait intrigué Dominique à cause de ses origines. Son père était français et sa mère Esquimaude. Son papa qui travaillait dans le pétrole avait rencontré sa maman lors d'une mission en Alaska. De leur union était né Alphonse. Les yeux bridés, une allure de catcheur, il se baladait constamment en T-shirt. Le froid était son meilleur copain aimait-il répéter à tous ceux qui voulaient bien l'entendre.
Des éclats de rire rappelèrent notre gérant de magasin à la réalité. C'était nos cinq joyeux drilles qui maintenant arboraient tous la même paire de chaussures.
« Les grands esprits se rencontrent ! S’exclama Hector.
-En plus, on a tous la même pointure ! Répliqua Yves.
Leur paire de godasses Reebok à la main, ils quittèrent les lieux ravis d'avoir trouvé leur bonheur.
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Ce matin, dans cette grande entreprise d'horlogerie, l'ambiance était tendue. La direction devait choisir le nouveau chef de projet. Nos cinq acolytes avaient postulé pour ce job qu'ils pensaient pouvoir accomplir avec brio.
Pour la direction, le choix semblait pourtant très simple, Jean-Paul était évidemment l'homme de l'emploi. Il fut donc convoqué dans le bureau du directeur qui après l'avoir félicité pour son excellent travail lui proposa la fonction qu'il accepta avec un certain contentement.
De retour parmi ses collègues ils leurs annonça la bonne nouvelle. Tous s'empressèrent de le féliciter. Mais malgré les sourires, les compliments et flatteries, une certaine gêne venait de se créer entre lui et ses comparses. L'amitié qui les avait unis jusqu'à présent s'étaient en une fraction de seconde, profondément estompée.
La jalousie et le sentiment d'infériorité que tous avaient ressentis n'avaient pas été digérés de la meilleure façon.
Alors, leurs réunions habituelles ne furent plus de mises, et le temps progressant, un fossé se creusa entre le nouveau chef et ses anciens camarades.
Jean-Paul ne fut plus invité à rejoindre le petit groupe et l'hiver commença son chemin augmentant la brèche béante de leurs amitiés passées...
Pourtant ce matin du mois de janvier, Jacques, Hector, Yves et Alphonse, s'étaient retrouvés devant la maison de Jean-Paul.
Mais quelque chose clochait.
Ils arboraient une triste mine et restaient immobiles, comme cloués devant le portail de leur ami. Le froid était intense et un léger vent glaçait l'atmosphère.
« Laissez-passer ordonna l'ambulancier !
La gendarmerie s'activait dans le jardin de cette magnifique villa de Prévessin. 
Ce matin, on avait retrouvé leur camarade, assassiné, un couteau planté dans le cœur.
Ce qui était curieux, c'est qu'au milieu du jardin se trouvaient deux chaises longues et que sur l'une d'elle, couché sur le dos, se trouvait le cadavre de l’infortuné.
-En plein mois d'hiver, avec une température de moins dix degrés, mais que faisait-il ici en pleine nuit ! » S'exclama la femme de ménage.
C'est elle, qui après avoir fait la macabre découverte avait averti la police et également son comparse Hector, qui s'était empressé d'informer toute la bande.
Tous avaient déboulé sur les lieux malgré l'heure matinale.
La tête pleine d'amertume, ils regrettaient maintenant leurs fâcheux comportements à l'égard du défunt.
L'inspecteur Ernest Puppa en compagnie de deux de ses collègues, Purbon et Gentou, de la police scientifique du Pays-de-Gex arrivèrent rapidement sur les lieux. Ils commencèrent leurs investigations.
Rapidement un indice important fut retrouvé. Sur le sol du jardin, une fine couche de neige ancienne était marquée de deux traces de pas distinctes.
« Pointure quarante-cinq, marque Reebok, les empreintes du mort sont les mêmes que celles du meurtrier ! » S’exprima ainsi le gendarme de service.
Les quatre compères qui assistaient à la scène se regardèrent ébahis...
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L'interrogatoire qui se déroula les jours suivants ne révéla rien. Les trois inspecteurs qui s'occupaient de l'affaire, avaient bien compris que le tueur faisait partie de ce groupe d'amis qui turbinait dans la même entreprise, mais leurs alibis semblaient en béton. Le mobile du crime était certainement la jalousie, Jean-Paul venant d'obtenir à la barbe de ses amis, une place que tous convoitaient.
« L'un d'eux a certainement voulu se venger de ce qu'il considérait comme un affront.
Mais, qui est le coupable ? Demanda Hector Purbon à ses collègues.
Gentou répliqua :
- Alphonse ! C'est un esquimau, il devait occuper la chaise à côté du mort. Il adore le froid, il a certainement voulu que sa victime goutte au climat de son pays !
- Mais non, t'as de ces idées ! Répliqua Purbon. Le trucidé avait horreur du froid. Le suspect numéro un, pour moi c'est Hector qui voulait lui montrer le ciel étoilé.
- Avec la brume d'altitude que l'on a depuis une semaine, pas moyen de voir la moindre étoile ! Ajouta son compère en ricanant.
- Alors, c'est Jacques, avec ses manies de vouloir retrouver des fantômes, il a voulu commettre un sacrifice rituel en pleine nature !
-Et pourquoi pas Yves ! Termina son collaborateur. Il aime la nature, il l'a emmené dans son jardin pour lui montrer que la campagne est belle en cette saison et vlan ! Il l'a tué !
L'inspecteur Ernest Puppa qui était resté silencieux, se leva brusquement. Sortit son journal hebdomadaire, « Le Gessien », de sa poche. Tourna rapidement les pages et s'arrêta brusquement sur l'article qui l'intéressait. Il se souvenait de quelque chose qui collait parfaitement aux circonstances du meurtre et désignait avec certitude le coupable.
Moi, j'le connais le coupable ! Dit-il la mine réjouie.
Ces deux acolytes se regardèrent étonnés.
« Tu ne disais rien, on croyait que tu t'étais endormi ! Dit l'un.
-Et voilà que soudain tu te réveilles, tu lis on ne sait pas trop quoi et tu dis connaître le coupable !
-Eh bien oui, mes amis. Vous voyez ce petit journal, vous ne vous y intéressez jamais prétextant que c'est une revue de "Chiens écrasés".
Moi, je le consulte chaque semaine et comme vous pourrez vous en apercevoir, il détient la clef de l'énigme !
Puppa enchaîna.
-Par déduction on peut facilement éliminer Alphonse. La victime avait horreur du froid et ne serait jamais sortie par cette température polaire pour suivre son copain l'esquimau.
Il fallait une raison importante ou du moins fascinante.
Voir les esprits couchés sur une chaise longue ou humer la campagne ?
Non, mais vous croyez vraiment qu'une personne de son intelligence aurait eu cette idée-là ? Jacques ou Yves aurait dû se montrer terriblement convaincant ! »
Puppa s'arrêta un moment et commença son rituel habituel, histoire de faire ronchonner ses interlocuteurs. Il s'accroupit, resserra les lacets de ses chaussures, s'interrogea sur une petite rayure qui zébrait le plancher, se redressa lentement maugréant sur une raideur de son dos.
« Non, mais tu arrêtes ton cirque ! S’exclamèrent ses deux comparses !
Puppa esquissa un sourire.
-Où en étais-je ? Il resta encore un instant complètement silencieux.
-Oui ! Donc ! J'ai trouvé la raison qui avait poussé Jean-Paul à sortir par ce froid. Dans ce petit journal ! Dit-il montrant d'une main agitée le "canard" d'où provenait la révélation.
Le coupable devait terriblement bien connaître le ciel ! Car il y a un article chaque semaine de l'association d'astronomie. Et ce jour fatidique, il y avait un phénomène extrêmement étrange que j'ai eu une fois la chance d'observer dans le passé.
Puppa reprit son souffle.
-Le Halo lunaire !
Ces amis le regardèrent l'air interrogateur.
-C'est un phénomène extrêmement intéressant à regarder.
Par un temps généralement brumeux, la lune dessine autour d'elle un immense cercle qui semble totalement irréel. Ce phénomène scientifiquement expliqué, a dû intéresser Jean Paul qui a suivi Hector pour admirer ce phénomène couché sur une chaise longue de son jardin.
Tous deux se sont allongés pour admirer le spectacle.
Et puis...
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Hector, bourré de remords avoua très rapidement son crime.
Les faits relatés par Puppa s'étant avérés totalement exacts.

Ils étaient tous deux étaient restés de longues minutes à regarder le ciel.
Puis, Hector qui était devenu terriblement dépressif après la promotion de son copain, le tua devant ce qu'il aimait le plus au monde.
Le firmament…






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