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 31/08/2014                  

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Le temps des cerises


Qu'il est beau le temps des cerises!

Au fond de notre jardin se dresse un immense et  majestueux cerisier qui pour notre plus grande joie et notre belle gourmandise est extrêmement prolifique.
Malheureusement, les deux saisons précédentes, un printemps exécrablement pluvieux avait empêché la sortie des abeilles pendant le temps de la floraison et notre bel arbre des miracles  ne nous avait pas octroyé le moindre fruit...

Par contre cette année, par bonheur, le soleil avait été présent pendant l'ensemble de la période décisive et les délices de notre fruitier tombaient maintenant, rougeoyants et en grappes, sur l'intégralité des branchages.

Ce matin mon épouse adorée, une Polonaise de quarante printemps, me réveilla à l'aube en fanfare :
-Pierre lèvé toi tou désouite et va dan salone!
La même aventure se reproduisit pour l'ensemble de notre progéniture et nous nous retrouvâmes tous, assis ou du moins avachis, aligné en rang d'oignons, sur le canapé du salon.

La plus petite de nos filles se frottait les yeux boursoufflés de sommeil. La grande maugréait que l'on était dimanche et que le dimanche on doit faire la grasse matinée. Les deux garçons quant à eux les bras croisés, le cou enfoncé dans leurs épaules remontées, gardaient les yeux fermés essayant de continuer la féérie de leur sommeil.

Ma femme arriva les bras chargés de paniers en osier. Elle les avait choisis adaptés à chacune de nos morphologies particulières.
-Toi, dit-elle, Dorothée tou est très potite, alors tou as péti panier, toi Caroline sé solui plu gros, les garçons solui là!

Voyant l'immense taille de l'un des deux qui restait, je me dis que ma tâche allait être longue et difficile.
Et bien non, je m'étais trompé, j'héritais de celui d'une dimension raisonnable et ma moitié choisit le très grand, celui qui possédait deux renflements et était couvert par des battants de fermeture.

Nous avions évidemment tous compris le but des corbeilles.

Une matinée de récolte de cerises se présentait agréablement devant nous.

Mon épouse, en capitaine incontesté, distribua efficacement le travail.
Elle avait tout décidé.
Les filles s'occuperaient des branches basses.
Trois escabeaux, qui solidement ancrés dans le sol encadraient les coins de l'arbre et figuraient  les emplacements où les garçons et moi-même devrions accomplir notre besogne, quand à ma femme, elle avait décidé de s'occuper du haut des branchages en utilisant la grande échelle qui la conduirait au sommet inaccessible d'une fructueuse cueillette.

Deux bonnes heures nous permirent de terminer notre besogne que nous avions voulue précise et minutieuse.

J'appelais ma femme qui en haut de son perchoir semblait toujours à l'ouvrage.

-Encore do minoute et j'arrive! Répondit-elle.

Nous étions tous rassemblés dans la cuisine, admirant nos paniers remplis des bénéfices de nos efforts. Chacun y allait de de sa petite plaisanterie gourmande, se délectant à l'avance de la belle confiture qui serait avec amour, préparée.

Soudain mon épouse, avec sa délicatesse habituelle arriva bruyamment, frappant violemment du pied la porte qui ne semblait pas s'ouvrir assez vite. Elle laissa tomber sans précaution l'énorme panier fermé qu'elle tenait fermement accroché à sa main et poussa un profond et déchirant soupire.

Son visage était blême, ses yeux livides avec ce poisseux filet de sueur qui s'écoulait de la moiteur de son front. Elle se mit à greloter de tous ses membres.

-Tu es tombé! Lui dis-je d'un ton affolé.

-Non jé né mé sent pa bien,mon coeur, je croa que je vé ménanouisse!

Le trajet jusqu'à l'hôpital fut franchi en un temps record et l'attente angoissante des résultats nous sembla durée une éternité.

Enfin, le médecin urgentiste après une minutieuse auscultation, vint nous donner des nouvelles.

Rien de grave! Nous rassura-t-il, une bonne infection intestinale, votre épouse m'a dit qu'elle devait certainement avoir mangé un morceau de viande avariée. Nous la garderons aujourd'hui pour observation.

C'est en rentrant soulagé par cette rassurante nouvelle, décidé de me débarrasser "illico presto" des morceaux de barbaques douteux qui remplissaient le frigo, qu'une idée astucieuse me vint à l'esprit.
Je m'approchai vers ce grand panier à double renflement qui reposait toujours à l'encoignure de la pièce, à la place même où notre précipitation l'avait laissé.
D'un doigt circonspect, j'entrepris d'ouvrir l'un de ses deux battants qui me dévoila sans la moindre surprise l'évidence de mon intuition.

Il était entièrement vide !